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On n’a jamais autant parlé de biodiversité en Suisse, avec toutes sortes d’arguments, grâce à l’« Initiative biodiversité » du 22 septembre 2024.

Une initiative (populaire) en Suisse, kesako ? C’est un proposition, signée par minimum 100’000 citoyens, de modifier la Constitution. Cette modification peut concerner n’importe quel thème.

Plus d’infos: https://www.ch.ch/fr/votations-et-elections/initiative/initiative-federale/#pour-en-savoir-plus

Cet article veut contribuer aux débats autour de ce vote. Rien de plus. J’invite tout le monde à réagir, quelle que soit sa position 😊.

Pour des infos sur l’initiative, ➡️ point 1. Pour comprendre la biodiversité en Suisse ➡️ point 2. Concernant la biodiversité dans l’économie suisse ➡️ point 3. Comment agir ➡️ point 4. Pour aller plus loin ➡️ point 5.

 

1. L’initiative biodiversité

La voyez-vous, la ragie sycophante? (Les Bioles, Ferreyres, Vaud, Suisse, 2008) ©BioPerf.biz

Que propose l’initiative ?

Elle rend la conservation de la biodiversité plus contraignante pour la Confédération et les cantons, en précisant les actions à entreprendre, par des modifications de la Constitution[1]. Ces actions doivent augmenter des surfaces spécifiquement gérées en faveur de la biodiversité.

Pour consulter les arguments du comité en faveur de l’initiative : https://www.initiative-biodiversite.ch/

Pour consulter les arguments du comité contre l’initiative : https://initiativebiodiversite-non.ch/

Qu’est-ce que sous-entend l’initiative ?

La perte de biodiversité en Suisse ne s’arrête pas, malgré l’obligation légale de la conserver[2]. Les initiants estiment donc que des mesures supplémentaires sont nécessaires. Elles estiment aussi que le moyen le plus efficace de lutter contre cette perte est de donner plus de surfaces gérées en faveur de la biodiversité. Les autres facteurs de perte tels que la pollution, le réchauffement climatique ou les espèces invasives ne sont pas abordés par cette initiative.

Quelle autre thème cette initiative inclut-elle ?

L’une des modifications demande aussi de préserver « la physionomie des localités » et des « sites historiques ». De plus, la « préservation des paysages » y est aussi mentionnée.

Qu’est-ce que l’initiative ne précise pas ?

Elle ne précise pas la taille, le nombre et la localisation de ces nouvelles surfaces, ni les financements nécessaires. De plus, elle laisse ouverte la résolution de conflits d’usages sur ces nouvelles surfaces, par exemple lors d’installations de panneaux photovoltaïques. Finalement, le type de gestion à appliquer à ces surfaces n’est pas précisé, permettant une grande souplesse en fonction des situations.

Qui devra préciser les points laissés ouverts ?

Cette tâche incombera principalement au Parlement, en définissant une loi d’application (ordonnance dans le jargon suisse). Sa mise en œuvre sera pilotée par les services cantonaux. La décision lors de conflits d’usages sera traitée par les tribunaux, après une première interprétation par les services cantonaux.

Combien devra-t-on payer si cette initiative est acceptée ?

Selon la Confédération, les financements supplémentaires seraient de 215 millions à répéter annuellement et 160 millions à investir une seule fois[3].

 

[1] Voir le texte de l’initiative ici : https://www.initiative-biodiversite.ch/initiative/

[2] Notamment dans l’art. 78 de la Constitution ; dans 3 loi fédérales (LPN, LChP et LFSP); dans 11 ordonnances fédérales et une Stratégie Biodiversité Suisse

[3] Dans la communication du Conseil Fédéral du 4 mars 2022 disponible ici : https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-87439.html

2. La biodiversité en Suisse

Ophrys bourdon (orchidée), merveille des prés secs (Vallon de l’Aubonne, Vaud, Suisse, 2007) ©BioPerf.biz

Comment la biodiversité se concrétise dans nos vies ?

Une biodiversité faible ou élevée donne une indication sur la disponibilité des services qu’elle fournit[1]. Ainsi, des marais à faible biodiversité fourniront moins d’eau en période de sécheresse. Des prairies moins riches en abeilles sauvages rendraient la pollinisation des cultures plus difficile[2].

Comment la biodiversité a évolué en Suisse ?

La biodiversité évolue constamment. Depuis la présence humaine en Suisse, on considère que sa richesse maximale a été atteinte à la fin du 18ème siècle[3]. Toute analyse de la biodiversité actuelle se fonde sur un état de référence choisi subjectivement. Comparé à 1900, la biodiversité se porte mal, et comparée à 2000 la conclusion est quasi la même[4].

Que disait le gouvernement sur la santé de la biodiversité en 2022 ?

Le Conseil Fédéral a déclaré que « La biodiversité en Suisse se trouve dans un état insatisfaisant, marqué par un fort déclin, et les mesures déjà prises ne suffisent pas à enrayer son recul (perte de biodiversité) »[5]

Que disent les observations de terrain sur l’efficacité de la conservation de la biodiversité ?

L’étude de l’état de la biodiversité en Suisse apporte des réponses claires. Elle se base sur 520 sites et les différentes plantes et animaux qu’ils abritent. Sur cette base, 47% des 3’000 espèces rencontrées sont considérées comme en danger d’extinction à court ou long terme[6]. Pratiquement la moitié des espèces qui se rencontrent uniquement en Suisse sont aussi en danger d’extinction.

 

[1] Voir la synthèse publiée par la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité FRB (France) ici https://www.fondationbiodiversite.fr/biodiversite-et-services-ecosystemiques/

[2] Plus d’infos sur https://www.agroscope.admin.ch/agroscope/fr/home/themes/environnement-ressources/biodiversite-paysage/compensation-ecologique-fonctions/abeilles-sauvages-pollinisation.html

[3] Selon Lachat, T.; Pauli, D.; Gonseth, Y.; Klaus, G.; Scheidegger, C.; Vittoz, P.; Walter T., (Réd.) 2011: Evolution de la biodiversité en Suisse depuis 1900. Avons-nous touché le fond ? Fondation Bristol, Zurich. Haupt Verlag, Berne.

[4] Voir l’article de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL suivant : Questions et réponses sur la biodiversité en Suisse, https://www.wsl.ch/fr/news/questions-et-reponses-sur-la-biodiversite-en-suisse/.

[5] Dans la communication du Conseil Fédéral du 4 mars 2022 disponible ici : https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-87439.html

[6] Office Fédéral de l’Environnement OFEV, Espèces et milieux menacés en Suisse, Synthèse des listes rouges, 2023.

3. La biodiversité dans l’économie suisse

La biodiversité que pour le tourisme ? (Ponte dei Salti, Val Verzasca, Tessin, Suisse, 2017) ©BioPerf.biz

Que représente la biodiversité économiquement ?

En Suisse, l’ensemble des espèces en danger est lié à des surfaces qui fournissent des services d’une valeur de 25 milliards de francs[1]. Autre exemple, les services rendus par les rivières et lacs suisses se montent annuellement à 54 milliards[2] (extrapolé de la moyenne mondiale). Il reste que les données sur la valeur économique de la biodiversité suisse restent rares.

Quel est le risque économique lié à la perte de biodiversité et de ses services ?

Le coût de l’inaction, pour l’Union Européenne, s’élèverait à 14’000 millions d’euros[3] en 2050. Ce qui représenterait 7% du PIB. Pour la Suisse, Swiss Re estime que 24% du PIB national est étroitement lié à la biodiversité[4], donc env. 180 milliards de francs par an. Ce qui place la Suisse comme faiblement dépendante en comparaison mondiale. Mais donne quand même une idée du prix à payer en cas d’un recouvrement urbain de toute la Suisse !

Pourquoi la Suisse est peu liée économiquement à la biodiversité ?

Parce qu’une grande partie de son PIB provient d’activités faiblement dépendantes de la biodiversité telles que les sièges de multinationales ou des activités de services. Même pour les activités agricoles ou forestières, la Suisse n’est pas autonome : 30% du bois et 55% des produits alimentaires proviennent de l’étranger[5] !

se situent les impacts à la biodiversité de la Suisse ?

Toutes les activités économiques nécessaires à la vie en Suisse ont des impacts sur la biodiversité et sont regroupées sous le terme d’empreinte. Cette dernière intègre donc aussi l’extraction d’or en Afrique pour la fabrication de montres en Suisse. Cet impact sur la nature se situait à 75% hors de la Suisse en 2015[6].

De quelles services l’économie suisse a-t-elle besoin ?

Toujours selon Swiss Re, la Suisse a principalement besoin de la biodiversité pour les services suivants (par ordre décroissant d’importance) : assurer la disponibilité de l’eau, produire de l’eau potable, maintenir les espèces, produire de l’air respirable, capter le CO2 et enfin maintenir la fertilité des sols. Les besoins liés à l’eau sont principalement ceux de l’industrie, alors que le besoin en sols fertiles concerne l’agriculture et l’économie forestière.

Quelle est la santé des services fournis par la biodiversité ?

La fertilité des sols n’est pas assurée sans pour autant qu’il soit possible de dire la grandeur de la menace[7]. La production d’eau potable ne semble pas non plus assurée puisque 72 % des cours d’eau contrôlés en 2022 contenaient trop de micropolluants (médicaments + pesticides)[8]. Concernant le stockage du CO2 par les surfaces naturelles, aucune donnée semble disponible. Ce service est essentiellement assuré par les marais et les forêts, écosystèmes présentant des santés différentes. Les marais qui restent (10% de leur état initial[9]) continuent à se dégrader[10]. Quant à la forêt, sa capacité de stockage du CO2 est stable depuis 2015[11] alors que la stratégie climatique suisse nécessite un doublement de cette capacité.

 

[1] Office Fédéral de l’Environnement OFEV, rapport sur la biodiversité, 2014

[2] Basé sur la valeur économique fournie par Brander L.M. et al., 2024 : Economic values for ecosystem services: A global synthesis and way forward. Ecoystems Services 66 (2024) 101606.

[3] Braat L. & P. et al., 2008 : The cost of policy inaction : the case of not meeting the 2010 biodiversity target, Wageningen : Alterra (Alterra-rapport 1718) – 312

[4] Voir page web et rapport concerné sur https://www.swissre.com/institute/research/topics-and-risk-dialogues/climate-and-natural-catastrophe-risk/expertise-publication-biodiversity-and-ecosystems-services.html#/countries/ch

[5] Pour 2021 dans les deux cas.

[6] Frischknecht R et al., 2018: Empreintes environnementales de la Suisse. OFEV. État de l’environnement n° 1811: 22 p.

[7] Office Fédéral de l’Environnement OFEV 2017 : Sols suisses. État et évolution – 2017. État de l’environnement n° 1721: 86 p.

[8] Plus d’infos sur https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/eaux/info-specialistes/etat-des-eaux/etat-des-cours-deau/qualite-des-cours-deau/micropolluants-dans-les-cours-deau.html

[9] Klaus G. (réd.) 2007 : État et évolution des marais en Suisse. Résultats du suivi de la protection des marais. État de l’environnement nº 0730. OFEV, Berne. 97 pp.

[10] BirdLife Suisse et Fondation suisse pour la protection et l‘aménagement du paysage FP, 2017 : Etat des marais d‘importance nationale de Suisse en 2017, 30 ans de votation de Rothenturm. Document numérique, 12 p.

[11] Office Fédéral de la Statistique OFS 2023 : Variations du stock de bois sur pied, 1990-2022.

4. Conclusion, comment agir ?

Quel chemin pour cette initiative ? (Gorge de Tête-Noire, Vallée du Trient, Valais, Suisse, 2020) ©www.BioPerf.biz

Quelle taille accorder aux surfaces gérées pour la biodiversité ?

Si le but est de maintenir la biodiversité actuelle, il faudrait 30% de la Suisse gérée en faveur de la biodiversité et 15% de la Suisse avec un statut de protection[1] (pour rappel 8% de la Suisse est déjà protégée en 2024). Est-ce que ces surfaces suffiraient à assurer les services nécessaires à la population suisse ? Il ne semble pas exister de réponse à cette question.

Si le but est de maintenir l’activité économique suisse actuelle, la réponse est multiple.

  1. Pour l’industrie (25% du PIB suisse), il faudra essentiellement conserver la biodiversité qui fournit ou protège de l’eau, en Suisse.
  2. Pour le secteur des services (74% du PIB), ce sont avant tout les besoins énergétiques qui seront à considérer. Donc des actions à l’échelle mondiale pour baisser les impacts du réchauffement climatique et des actions en Suisse pour maintenir la biodiversité nécessaire à la production énergétique (forêt essentiellement).
  3. Pour le secteur du tourisme (3% des 74% ci-dessus), la diversité en espèces et en paysages est importante pour les touristes[2]. Les actions devraient donc conserver les caractéristiques naturelles des paysages concernés. Et donc cibler plusieurs types d’écosystèmes à chaque fois.

Si le but est de maintenir la biodiversité qui est importante pour l’identité suisse, la réponse semble encore plus difficile. Que seraient les Alpes sans aigle royal et bouquetins, les étangs sans grenouilles, les forêts sans lynx, les lacs sans roselières et filets d’omble chevalier ou terrine de fera ?

Et pourquoi ne pas développer la biodiversité en zone urbaine ?

75% des Suissesses et Suisses vivent dans des zone urbaines[3]. Si le but est de rendre leurs cadres de vie plus agréables, l’augmentation de la biodiversité de ces lieux est nécessaire[4]. Non seulement cela rendra ces personnes plus heureuses, mais renforcera aussi certains services fournis par la biodiversité, et dont nous avons besoin : aire propre, îlot de fraîcheur en période de canicule, baisse du risque de crues ou amélioration de la santé mentale et physique. Sans compter que des espaces urbains plus riches en biodiversité permettront de mieux répartir sur le territoire la responsabilité de conserver la biodiversité.

 

Avec 🫶🏼 et 💡 par BioPerf.biz

 

PS: si vous avez encore des question sur la biodiversité, voir https://sciencesnaturelles.ch/biodiversity/questions_and_answers

 

[1] Rutishauser et. al, 2023 : Estimation de la surface nécessaire pour le maintien de la biodiversité suisse. InfoSpecies. Neuchâtel

[2] Müller S. M. et al. 2019: The Importance of Cultural Ecosystem Services and Biodiversity for Landscape Visitors in the Biosphere Reserve Swabian Alb (Germany), Sustainability 2019, 11, 2650

[3] Une zone urbaine est définie ici par l’Office Fédéral de la Statistique comme étant soit une agglomération (ensemble d’au moins 20’000 habitantes.s formé de plusieurs communes) soit une ville (commune de plus de 10’000 habitantes.s)

[4] Obrist M. et al. 2012: La biodiversité en ville – pour l’être humain et la nature, WSL, Notice pour la praticien 48.

 

5. Pour aller plus loin et s’émerveiller